« Irène Frachon, la pneumologue du CHU de Brest qui a mis au jour, en 2010, le scandale du médiator des laboratoires Servier, poursuit inlassablement son combat pour l’indemnisation des victimes. Elle sera ce soir à la fac d’Albi.
A qui souhaitez-vous vous adresser ce soir ?
Aux victimes du médiator. Elles sont mon unique préoccupation. Il y a un patient tarnais dont le dossier traîne depuis des années et qui m’écrit souvent. ça s’éternise et les victimes s’épuisent. J’ai pensé que c’était le moment de venir, de rencontrer le cabinet d’avocats qui les défend à Albi… Je suis au cœur de la fournaise et malheureusement, je reste indispensable pour expliquer aux victimes et aux avocats tout ce qui se passe.
Qu’est-ce que vous allez leur dire ?
Je vais leur dire qu’elles sont victimes d’un crime. Elles ont été délibérément exposées à un poison mortel. Les conclusions de l’instruction sont accablantes, sur ce fondement-là… La justice civile a déjà condamné ce médicament . (N.D.L.R., pour la 1re fois en octobre 2015, le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi par deux malades de 67 et 72 ans, a reconnu la responsabilité civile des laboratoires Servier pour avoir laissé sur le marché un médicament «défectueux»).
Mais on est encore très loin du jugement pénal. Il faut que les victimes arrivent à vivre avec ce crime non jugé. On sait que les expertises scientifiques ont confirmé tout ce qu’on a dit.
Mais les indemnisations sont faibles ou lentes à venir.
On rencontre de multiples obstacles liés à la mauvaise volonté de Servier. Ce sont des criminels sans scrupule. Il a fallu que la ministre de la Santé fasse un décret qui oblige Servier à ne pas tenter d’arnaquer les victimes…
Je pense à une jeune femme, victime du médiator, qui ne pouvait plus travailler ni toucher de retraite. Il y a quelques années, Servier lui avait accordé 3 000 € . Je lui ai dit que sa pathologie était beaucoup plus grave que celle reconnue. Elle s’est déplacée pour faire des examens, on a remonté un dossier. Il y a quelques jours, elle m’a rappelée. Servier, acculé, propose aujourd’hui plus de 100 000 €. Petit à petit, le processus d’indemnisation s’est amélioré. C’est une situation très inéquitable qui ne me satisfait pas, mais c’est mieux.
A quelle sorte de gens avez-vous affaire ?
Comme me le disait un spécialiste, c’est l’archétype de la criminalité en col blanc, je dirais même de la «criminalité en blouse blanche». Aujourd’hui, il y a des «grands» médecins mis en examen pour prise illégale d’intérêt…
Depuis 30 ans, Servier protège ses activités en faisant pression sur ceux de sa «maison» et en étouffant très violemment tout départ de feu. Il paye sans compter les meilleurs avocats. Un budget qui doit être faramineux. Des dizaines d’avocats travaillent à plein-temps pour «démonter» les victimes. Et ils se battent comme des chiens, dossier par dossier. C’est une guerre pour chaque victime.
Sur quoi ou sur qui pouvez-vous compter ?
J’ai la chance, comme lanceuse d’alerte, d’être un médecin qui connaît très bien ces pathologies. Et il y a un dialogue franc, une synergie utile avec les autorités. Malgré tout ça, on a un mal de chien. C’est soutien contre soutien.
Pourquoi continuer ?
Pour mes patients qui, eux, continuent à souffrir et à mourir à cause du médiator. Je les accompagne médicalement dans leur calvaire… Je me bats pour que les gens soient reconnus et indemnisés.
Toutes mes forces sont concentrées là dessus ».
« Le chiffre : 30
victimes > tarnaises. sont ou ont été défendues par Me Albarède, avocat au barreau d’Albi, sur un total estimé entre 60 et 80 dossiers en cours dans le Tarn. Une dizaine de victimes ont signé un protocole d’indemnisation avec les Laboratoires Servier, pour des sommes minimes, avec obligation, pour la victime indemnisée, de signer une clause de confidentialité. Pour la vingtaine de dossiers tarnais restant, les Laboratoires Servier opposent, ici comme ailleurs, un sursis à statuer, en attendant le jugement au pénal de l’affaire du médiator. Ce soir à l’issue de sa conférence, Irène Frachon doit rejoindre Me Albarède pour faire le point avec lui sur les dernières avancées en matière d’indemnisation. La loi Santé de janvier 2016 permet à certains dossiers, écartés, d’être réexaminés. Un décret ministériel d’avril 2016 fixe de nouvelles règles d’indemnisation plus favorables aux victimes ».